Illustration : Sara Herranz

Adolescente timide et réservée, j’ai un peu de mal à trouver ma place au sein de ma famille, mais cette fois encore, Agatha sera là pour me conseiller, me soutenir. Elle est belle, intelligente, élégante et drôle. Avocate au barreau du Cameroun, elle est très active : une working lady. Quand elle ne travaille pas, elle s’occupe de sa famille (au sens large du terme bien entendu). Lorsqu’elle se déplace à Douala pour le travail, elle passe dire bonjour aux parents et en profite pour passer du temps avec moi. Elle me voit prendre possession de mon corps de femme (assez gauchement d’ailleurs) et trouve les mots pour me rassurer.
Cette année, son séjour est un peu plus long que d’habitude, le travail je suppose. Elle s’installera donc chez moi et ça m’arrange bien. Elle va partager ma chambre, il y a un lit inoccupé. Sa présence à la maison est un genre d’armistice, une bouffée d’oxygène. Les parents sont plus détendus, je suis moins « sous pression », en plus je préfère clairement faire mes devoirs avec elle. Au bout d’une semaine, Agatha et moi avons pris nos habitudes, je suis fière de lui raconter ma journée le soir, elle me raconte la sienne et m’aide à faire mes devoirs.
Ce soir, Agatha paraît plus fatiguée, elle me laisse faire mes devoirs toute seule, et discute très tard avec les parents le soir, ils chuchotent. Ils parlent de voyage en France, de dépistage, métastases autant de mots incompréhensibles pour moi Je n’y comprends pas grand-chose, et ça ne doit pas être drôle. Ils ont tous le visage “fermé”. Je suis trop loin pour mieux entendre et je vais passer un sale quart d’heure si on me prend à espionner dans les escaliers. J’espère que demain Agatha ne restera pas toute la soirée avec les parents, on a un rituel de coucher et c’est la première fois qu’elle le manque.
Je ne reverrai jamais Agatha, et je ne comprendrai que plus tard le sens de la scène espionnée. Nous étions au début des années 2000 et je venais de vivre ma première rencontre avec le dénommé “cancer”.

Illustration : Sara Herranz

Octobre Rose

Octobre est le mois dédié à la lutte contre le cancer du sein, à travers Octobre Rose. Depuis quelques années, je m’interroge sur le quotidien de ces héros peu connus qui se battent en mode double sanction (la vie même sans accros demande de se battre, combien de fois quand on doit faire face à la maladie). Notamment ceux* qui conservent une activité professionnelle. Ils sont généralement positifs et optimistes, où trouvent-ils la force et l’énergie qui nous fait défaut au quotidien à nous bien portants ? Quelles ressources trouvent-ils en continuant de travailler ? Questions dont les réponses sont très certainement liées à la singularité de chaque individu.

Le cancer du sein et les actifs

A l’annonce du diagnostic, le temps s’arrête j’imagine. L’expression « le premier jour du reste de ma vie » prend ici tout son sens. Un flot d’interrogations pratiques submerge, les engagements du quotidien sont remis en question. On passe de la gestion des journées double (emploi et gestion de son foyer) à celle des journées triples avec l’ajout des soins hospitaliers. On devient, par la force des choses pro de l’organisation et de la gestion du temps car, oui, la journée n’aura toujours que 24h.
En moyenne 3 mois après l’annonce de la maladie, seules 24% des personnes travaillent encore, selon une publication de l’Inserm. La perte d’un emploi peut se justifier par la maladie elle-même, les traitements ou encore l’impact psychologique sur les malades. Les symptômes de la maladie et du traitement altèrent la productivité et poussent souvent à l’aménagement du poste pour celui qui souhaite continuer son activité. Gérer les nouvelles configurations relationnelles, concilier vie professionnelle, vie privée et soins, tels sont les challenges.
En mars dernier, je rencontrais une de ces héroïnes lors du forum « Elles Ont Osé » à Toulouse, Karen Yassine. Cheffe d’entreprise dans l’alimentaire en chine (importation de produits alimentaires sains), égérie Elie Kuame pour la campagne Octobre Rose en 2016. Multiculturelle, polyglotte, maman et véritable boule d’énergie. En phase de rémission, elle allie l’élégance et la joie de vivre dans son combat au quotidien. Son parcours et sa détermination forcent le respect, elle mène de front sa vie privée, ses activités professionnelles à travers le monde et ses soins. En évoquant avec Karen son quotidien, et nos activités respectives à venir, nous en sommes venues à parler d’une connaissance à elle qui avait elle aussi conservé une activité professionnelle malgré sa maladie. (On en parle bientôt, promis)

Les initiatives se multiplient à travers le monde pour soutenir les malades et les acteurs de la recherche. Aujourd’hui plus que jamais on voit l’importance du maintien des malades dans l’emploi. De divers horizons, ils nous donnent tous les jours une leçon d’humilité, et incarnent à la perfection les mots courage, détermination.

* “ceux” car le cancer du sein concerne aussi les hommes

 

Pour aller plus loin:

04 Février : journée mondiale contre le cancer

AlloAlex.com : site internet qui propose des outils d’accompagnement pour les malades (sécuriser son parcours, gagner du temps, y voir plus clair …) et permet de concilier cancer et travail.

cancer@work : réseau d’entreprises engagées dans le maintien pour l’emploi des salariés atteints de cancer. Il fédère les acteurs du monde du travail autour de l’emploi des malades atteints de cancer.

Interview Karen Yassine : « Cancer tu ne gagneras pas »

Cancer du sein et estime de soi

web documentaire : www.recherche-tout-saccelere.fr

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